La déprise

Marne-la-Vallée (FR) – Mentionné

DONNÉES DE L’ÉQUIPE

Représentante d’équipe : Claire Girardeau (FR) – architecte ; Associés : Jonathan Cacchia (FR), Cécile Frappat (FR), Louis Méjean (FR) – architectes
Collaborateurs : Pierre-Yves Blévin (FR) – chargé d’affaires ESS ; Mélanie Carratu (FR) – traductrice ; Adrien Piu (FR) – vidéaste

Tohu-Bohu, Paris – France
contact@tohu-bohu.eu – www.tohu-bohu.eu

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C. Girardeau, J. Cacchia, L. Méjean & C. Frappat

 

INTERVIEW
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1. Comment s'est constituée votre équipe à l'occasion du concours?

Notre équipe s’est constituée autour de l’envie partagée de prendre le temps de réfléchir sur des problématiques urbaines et architecturales extraites de notre cadre professionnel et de stimuler nos pensées sur des thèmes d’actualités.
Jeunes architectes indépendants actuellement en activité ou non, nous forgeons chacun notre métier par nos expériences en agence d’architecture, en association, par le biais de micro-projets et de voyages, toujours avec l’envie de porter un regard constructif et itératif sur notre pratique. Ce qui nous a réuni autour du concours Europan, c’est avant tout nos liens amicaux et une sensibilité commune, d’où émanent cependant un pluralisme certain qui caractérise notre équipe : c’est un Tohu-Bohu d’idées complémentaires qui, associées, nous permettent de tenir un discours, de développer des idées et d’expérimenter des moyens.
Des sites proposés pour la session E13, Marne-La-Vallée nous a interrogé par l’histoire de sa construction et de sa planification. Nous avons saisi l’opportunité de travailler sur la transition du modèle de “Ville Nouvelle“ vers la ville adaptable.

2. Quelle est la problématique principale du projet et comment avez-vous répondu à la question centrale de la session : lʼadaptabilité à travers l'Auto-Organisation, le Partage et/ou le Projet (Processus) ?

La Ville Nouvelle est la marque d'une époque singulière : un projet généreux et complet répondant à la grandeur des aspirations d'alors. Qu'il soit voulu ou subi, ce modèle de ville perdure. Cependant, qu'en advient-il lorsque qu'il doit faire face à un territoire écologiquement, économiquement et socialement incertain, et dont il est totalement dépendant ?
Nous estimons que continuer à faire la ville au sein d'un tel système d'emprise n'est plus tenable. Nous cherchons alors comment rendre cette ville davantage résiliente et capable de s'adapter à la juste mesure de ses besoins transitoires. À revers d'une logique d'emprise, nous explorons la déprise comme le principe générateur du projet urbain. Mouvement d'ouverture, la déprise fait de l'affranchissement l'acte premier et annonciateur d'un ressaisissement. Elle crée un vide fertile dans lequel l'allée et venue de l'imprévisible est rendu possible : le repli ou le déploiement nécessaires à la fabrique d'un tel territoire.
Le développement du territoire ne peut donc se penser sans sa possibilité d’abandon. La réversibilité de chaque bout de territoire, plus ou moins nécessaire selon ses caractéristiques, son contexte, sa temporalité, est notre réponse à la question de l’adaptabilité.
Nous n’exposons pas un projet-objet, fini, circoncis, mais au contraire une méthode et divers outils à mettre en place, permettant d’installer un projet de territoire dans le temps. Tout d’abord une déprise de la nature d’agrément pour réintroduire un seuil flexible à la ville-nature (Projet-processus). Ensuite, une déprise foncière pour autoriser la réintroduction de “communs“ (Partage). Enfin, une déprise de gouvernance pour permettre l’émergence de subsidiarités actives (Auto-organisation).
Le projet suggère ainsi aux faiseurs de ville de réévaluer leur capacité à contrôler, gérer et habiter ce territoire : nous leur proposons une tactique humble permettant d'installer, dans le temps et dans l'espace, les bases d'une incertitude maîtrisée.

 

3. Comment la problématique et les questions posées par la mutation du site se sont-elles croisées ?

Lors de notre visite de site, nous avons saisi assez vite que les espaces verts représentaient une surface considérable, tout en étant une ressource en veille. En effet, ils sont principalement de la nature d’agrément ou substrat d’aménagements autoroutiers ; parfois délaissés, souvent entretenus, ils sont dans tous les cas coûteux en gestion et entretien. Ces espaces perçus comme “réserves de possibles“ ont donc été la porte d’entrée de notre projet.
Nous avons tenté d’y mettre en place de nombreuses tactiques urbaines, sans qu’aucune ne soit convaincante car tombant à chaque fois sur un processus de projet “accumulatif“ de type masterplan. C’est par un revirement de pensée que le concept de déprise nous est finalement apparu comme la tactique appropriée. Nous avons ainsi choisi de lâcher prise sur le modèle de ville-nature à travers ce qui l'entretient : ses espaces verts.
Finalement, le projet s’est peu à peu élaboré en cherchant à faire sans cesse des allers-retours entre les problématiques spécifiques du site et les enjeux plus larges du modèle de Ville Nouvelle face à son adaptabilité. C’est par cette méthode de travail, en tentant de nombreuses hypothèses de projets, que avons finalement été amenés à trouver le concept de déprise comme étant à la fois une réponse à la mutation du site, tout comme un champs conceptuel pouvant nourrir la réflexion autour du projet urbain et plus précisément de l’avenir des Villes Nouvelles.

 

4. Avez-vous déjà traité cette problématique précédemment ? Quels ont été les projets références pour le vôtre ?

Oui, cette problématique fait partie intégrante de nos questionnements et intervient de différentes manières. Dans un premier temps, au travers de workshops auxquels nous participons et qui nous permettent d’expérimenter des possibles. Mais aussi en menant à bien des actions ponctuelles et développées sur le vif avec des associations, ou lors de projets architecturaux et urbains concrets.
Durant nos études, certains d’entre nous ont participé à l’atelier “h21” (Habiter au 21ème siècle) de Jean-Marc-Huygen, architecte et enseignant-chercheur à l’ENSA de Marseille et de Grenoble. Cet atelier aborde les problématiques de E13 et bien d’autres (appropriation, réemploi, lien). Ce référentiel commun a largement nourri notre réflexion sur la ville adaptable.
En terme de projets références, notre première référence est bien sûr la Ville Nouvelle qui nous a permis de saisir l’héritage du site. Nous avons croisé les idées de l’époque avec notre analyse de la situation actuelle pour créer une continuité. Sont intervenues d’autres postures, dont celles d’Augustin Berque et Gilles Clément pour leurs points de vue entre ville et nature, ou alors l’intervention de Alain Bourdin intitulée “L’incertitude comme moteur de l’action“ dans le cadre du Club Ville Aménagement.
Nos travaux d’agences nous ont également influencé, comme celui de la Friche de la Belle de Mai à Marseille, pour son projet-processus et son organisation en SCIC (Société coopérative d’Intérêt Collectif). Enfin, en matière d’organisation, nous nous sommes surtout intéressés à toute forme d’actions issues de l’économie sociale et solidaire.

 

5. Aujourd'hui, à l'ère de la crise économique et du développement durable, le projet urbanoarchitectural doit repenser son mode de fabrication dans le temps ; de quelle manière avez-vous intégré la question du projet processus ?

Le contexte actuel nous amène à repenser notre système et son organisation que l’on croyait acquise. C’est pourquoi notre projet porte davantage sur une forme d’organisation du territoire plutôt que sur un projet urbain “classique“. En déplaçant notre attention sur les organisations qui cadrent le travail des urbanistes et des architectes, nous avons pu ajuster certaines règles pour plus de souplesse, de rapidité et peut-être de justesse.
Nous avons proposé une modification du processus en intégrant un tiers acteur. Cette organisation donne lieu à une gestion des espaces où le temps est une donnée fondamentale, intégrant l’incertain et accompagnant le projet urbano-architectural vers un processus d’emprise et de déprise. Notre approche s’est concentrée sur la flexibilité des usages dans l’espace et dans le temps, pour permettre d’organiser un territoire à géométrie variable.

6. Est-ce la première fois que vous êtes primé à Europan? De quelle manière cela peut-il vous aider dans votre parcours professionnel ?

Oui, c’est la première fois que nous sommes primés. Notre participation à Europan consolide certaines de nos convictions communes, comme l’importance de conserver des moments de recherches au sein de notre pratique du métier d’architecte. La mise en place d’une méthode de travail expérimentée dans le cadre d’Europan se poursuivra avec Tohu-Bohu dans l’objectif de trouver une forme d’exercice appropriée à nos réflexions, aux évolutions de notre métier et à la conjoncture économique actuelle.