Point de vue d'équipes primées

Forum Inter-Sessions E13/E14 - Badajoz (ES) - Débat

Points de vue d'équipes primées

TALLER DE CASQUERÍA
E13 Marl (DE), Lauréat – "Weee Marl!"

L’automatisation, par son efficacité, prend aujourd’hui le contrôle d’une part non négligeable de la production. Selon le rapport du Forum économique mondial de 2016, près de 5 millions d’emplois vont disparaître d’ici 2020 des suites de l’automatisation. Cela n’est pas nécessairement négatif. Au contraire, la société se recentre sur d’autres types d’emploi, d’autres façons de considérer la productivité. 87% des créateurs risquent peu de perdre leur emploi. Aujourd’hui, la productivité est en train de passer d’une production physique au contrôle et à l’amélioration de celle-ci. Les infrastructures industrielles ne sont plus la clé pour la production. Et comme nos rôles changent, nos besoins en équipements devraient changer également. 4 exemples illustrent ce propos :

1- San Francisco & l’invasion sans fil – San Francisco pourrait être le meilleur exemple d’une transformation des êtres humains par les nouvelles activités productives. L’expansion des spots de Wifi gratuit dans les bars et restaurants pour attirer des consommateurs, ou dans les parcs et autres espaces publics pour l’amusement des habitants, a fait de ces endroits des lieux non plus de détente, mais de travail. Les nouveaux producteurs préfèrent aujourd’hui travailler dans un parc et prendre leurs rendez-vous dans des bars confortables plutôt que de faire des trajets d’une heure entre domicile et lieu de travail. Et Google a récemment « offert » le Wifi gratuit dans tous les parcs du centre de San Francisco, faisant de ces lieux de potentielles stations de travail.
2- Le Trading Haute Fréquence (ou High Frequency Trading – H.F.T.) & les nouveaux règlements financiers – Si on extrapole l’exemple de San Francisco à des demandes supérieures, nous voyons que la connectivité tient aujourd’hui un rôle prépondérant en tant qu’infrastructure. La position des serveurs racines ou les tracés des câbles sous-marins construisent ce territoire avec de nouvelles conditions. Ce sont des systèmes d’échange comme le H.F.T. qui exploitent les augmentations de la vitesse de connexion, produisant des milliers de transactions en quelques fractions de seconde à l’aide d’algorithmes. Il existe des projets de relier Londres à Francfort par micro-ondes via d’anciennes tours de radio, sur lesquelles on installerait des répéteurs tous les 50 km, ce qui augmenterait la rapidité de flux de données entre les deux capitales financières. Le résultat, c’est un territoire chargé de connectivité, qu’on peut comparer au Quincy’s Hub en Californie, où les compagnies de données profitent des nombreuses possibilités de connexion, ainsi que d’autres conditions favorables (énergie bon marché, réduction d’impôts…), pour former de nouveaux centres de production. La connectivité est devenue une nouvelle qualité du territoire, tout comme la météo, les provisions souterraines en matières premières ou les systèmes de communication traditionnels. Tout ceci pourrait-il constituer les semences des villes futures.

Automatisation dans la production
L'invasion du Wi-Fi
Tracés des câbles de transmission sous-marins
 

3- Corpo-Cités & politiques privées – Le concept de corpo-nation recouvre ces sociétés actuelles où les entreprises tiennent les rennes du pouvoir. Cette idée décrit également le diagnostique dystopique de ces entreprises qui assument le rôle de nos nations actuelles, établissant de nouvelles frontières, lois et relations afin de maximiser leur production. Par exemple, Walmart a pris la responsabilité d’organiser des convois humanitaires aux États-Unis pour approvisionner les citoyens américains après les désastres causés par l’ouragan Katrina. Bien que nous ne connaissions nommément aucune corpo-nation (aucune officielle en tout cas), nous connaissons cependant son précurseur : la corpo-cité. De nouvelles villes construites par des entreprises apparaissent déjà en bordure de nos capitales. Elles ne fournissent pas à leurs « citoyens » les services traditionnels attendus dans une ville, mais uniquement ce qui pourrait augmenter leur productivité. Il n’y a donc là aucune maison ou habitation, mais uniquement des hôtels et des restaurants ; aucun parc, mais uniquement des terrains de golf.
4- Flash Crash immobilier : Urbanisme instantané – Le Flash Crash, en économie, décrit une chute rapide et importante d’une valeur, suivie d’un retour à la normale. Nous sommes tous de plus en plus conscients de la volatilité des soi-disant marchés et de l’influence exercée sur eux par l’information. Nous constatons comment de nouvelles agences, des discours politiques, voire même un tweet, peuvent mettre l’économie mondiale sens dessus dessous. Mais les news instantanées peuvent-elles également modifier les villes ? Non pas leur forme, évidemment, mais peut-être leur foncier. Les économistes craignent aujourd’hui un flash crash de l’immobilier londonien suite au Brexit. La perte exponentielle de valeur ou les nouvelles politiques d’immigration pourraient mener à un boom des transactions instantanées et, partant, à une modification radicale du foncier londonien.

Convois humanitaires de Walmart
 

Mais en quoi ces changements affectent-ils nos villes ? Deux cas peuvent illustrer ceci : dans le quartier de la Barceloneta, à Barcelona, de nombreux petits investisseurs ont acheté des maisons aux anciens habitants, non pour y vivre, mais pour les louer comme appartements touristiques sur Airbnb ou d’autres canaux. Cela a totalement modifié le tissu social et la vie du quartier, malgré l’opposition des autochtones encore présents. Au contraire, à New York, de gros investisseurs ont acheté des habitations dans de nouvelles « super tours », où ils n’habiteront jamais. Celles-ci constituent des patrimoines financiers « construits », comme si des barres d’or poussaient du centre-ville.
Nous voyons les villes comme des faisceaux de connexions, couvrant des réseaux de trafic aux systèmes relationnels affectifs. La productivité à venir dépendra en grande partie de sa capacité à générer des nœuds de connexion effectifs, peu importe la distance entre les points impliqués. Les villes futures (nécessairement productives) doivent trouver la façon d’intégrer ces connexions dans leur propre réseau sans pour autant perdre leurs valeurs.

CARLES ENRICH
E12 Barcelona (ES), Lauréat – "Inserciones urbanas"

Je voudrais parler d’un élément de base de la productivité – l’eau – et de la façon de mélanger espace public et productivité.
La zone qui nous concerne a été l’une des plus productives de l’histoire de Barcelona, notamment grâce à l’une des plus importantes infrastructures de la ville, qui a structuré son développement au cours du dernier millénaire : le Rec Comtal. Le Rec Comtal a remplacé l’ancien aqueduc romain qui a fourni la ville en eau du Ier au Xe siècle. C’était un canal ouvert, qui offrait une relation très intense à l’eau, ainsi qu’une plus grande dynamique dans la zone agricole et industrielle du bassin du fleuve Besós, qui est ainsi devenue la zone productive de Barcelona. Au cours du XXème siècle, l’octogone formé par le nouveau quartier de l’Ensanche a finalement recouvert le Rec et aujourd’hui, l’eau n’est plus à l’air libre que dans le quartier de Vallbona. Cela étant, certains vestiges archéologiques ont été préservés et le Rec Comtal fait partie de la mémoire historique de nombreux habitants.

Récupération du tracé du Rec Comtal
Histoire - Opportunité - Héritage
Renaturalisation
 

Depuis le concours Europan 12 en 2014, nous avons travaillé à la récupération du Rec Comtal, en débutant par une intervention dans le quartier de San Andreu. Il y a 60 ans, cette zone d’intervention ne comptait que des prés et des industries. L’extension de Barcelona l’a transformée de territoire productif en zone de parking et décharge. Notre projet traite de la récupération non seulement du tracé du Rec, mais également de son environnement naturel et rural, et ce, à partir de 3 matériaux : l’eau, la terre et la végétation. Nous proposons un espace public à dynamiques variées (incluant notamment l’interprétation historique), et qui pourrait servir de zone tant productive que de repos. Une plantation massive d’arbres et de végétation ripicoles servirait d’unique support architectural afin d’optimiser les conditions climatiques du lieu.
Notre proposition fait partie d’une stratégie métropolitaine et sert d’outil de réactivation de l’espace public, associant l’histoire de la ville à la nature, au loisir et à la production. Nous avons identifié 21 zones dans 13 quartiers où passe le Rec, pour y introduire ces critères de rétablissement écologique à des degrés divers. Il s’agit d’initier des activités productives en certains points afin d’encourager l’agriculture locale à petite échelle. La force du projet est justement de relier et valoriser des espaces résiduels de Barcelona à travers l’infrastructure hydraulique. Ce faisant, nous renforçons la continuité urbaine entre les quartiers du centre et la périphérie, tout en revendiquant un modèle de ville productive qui reste aujourd’hui toujours possible.

PLAYSTUDIO
E13 Stavanger (NO), Lauréat – "Forus LABing"

PLAYStudio est un bureau d’architecture basé à Alicante (ES). Notre expertise sur la ville productive est très proche d’Europan, car notre première expérience en la matière correspond en fait à notre premier projet lauréat E7 à Wien (AT). Si nous avons échoué dans notre intention initiale de créer une partie de ville productive, 13 ans plus tard, le résultat est pourtant là : un projet de programmes mixtes avec du logement, des commerces et des espaces publics.
Notre proposition de départ était celle d’un bout de ville productive basée sur l’agriculture urbaine, en vue de transformer une zone d’affaires en zone résidentielle. Le projet, intitulé « Fallow Land », importait un modèle agricole dans la zone, créant une structure vivante dans laquelle tous les voisins pourraient cultiver un verger sur le toit. Malheureusement, il semble que l’idée arrivait un peu trop tôt et le développeur nous a dit que c’était impossible. Mais les choses changent, nous parlons aujourd’hui de villes productives et des projets proches de notre idée initiale apparaissent ici et là à Wien et dans d’autres projets Europan. Ce qui nous permet d’imaginer ce à quoi l’espace public de notre projet E7 à la Perfektastrasse aurait pu ressembler.
Le 2ème prix que nous avons gagné à Europan concernait un parc en bord de mer à Stavanger (NO), ce qui de prime abord n’a pas grand chose à voir avec la ville productive. Mais il s’agissait à nouveau de la transformation d’une zone industrielle en zone résidentielle, et qui incorporerait ensuite de l’agriculture urbaine. La municipalité nous a finalement commandé le développement d’un nouvel espace public sur cette zone, et c’est ici qu’est apparue l’association locale Edible Stavanger East, qui œuvre à l’amélioration de la vie sociale des espaces publics à travers la nourriture. Notre projet était l’occasion rêvée d’incorporer ces usages agricoles dans l’espace public comme un élément clef pour amener de la vie urbaine, des gens et de nouvelles activités dans la zone, le tout à travers la nourriture. Et nous l’avons donc fait sur base d’un processus participatif.
Enfin, notre dernier projet Europan primé fut pour E13, de nouveau à Stavanger. C’est un projet de transition urbaine productive d’une zone technologique en quartier vivable et (nous l’espérons) innovant. Nous essayons de transformer les interminables espaces de parking existants en une sorte d’espace public habitable. Les bâtiments existants deviendraient ce que nous appelons des « palais d’innovation », avec des nouveaux emplois pour les citoyens qui restent habiter à Forus, dans ce que nous appelons des « tours plug-in », profitant d’un nouvel espace public dans un « environnement bien tempéré ».

E7 Wien (AT), "Fallow Lands"
E8 Stavanger (NO), "Behind the Horizon"
E13 Stavanger (NO), "Forus LABing"
 

En conclusion, créer une ville productive suppose de comprendre la culture existante dans un sens large, incluant travail, alimentation, jeux, traditions, culture existante, constructions, etc. Comprendre la culture comme l’expression de l’humanité elle-même est la première étape pour atteindre notre but : la ville durable.

STUDIO DIÈSE
E13 Bondy (FR), Lauréat – "Bondy’s Count"

Quel impact l’introduction d’activités de production peut-elle avoir sur l’espace urbain ? La question nous a d’abord laissé perplexe. D’une part parce que nous n’étions pas sûrs de nous mettre d’accord sur l’expression "activités de production". Et d’autre part, parce que notre cas d’étude à Bondy était déjà une zone d’activité, et la question n’était pas tant de rajouter des activités que de montrer et diversifier les activités existantes. Pour la définition, nous nous sommes attachés à garder les différents sens que les mots "productif" et "production" recouvrent. Ensuite, nous nous sommes efforcés de mettre en perspective notre proposition de Bondy au regard de cet impact sur l’espace urbain.
Le mot "productif" englobe plusieurs significations : le sens général, "qui produit, qui est d’un bon rapport" (une activité productive, un sol productif au sens de fertile) ; le sens économique, directement lié à "l’activité productrice" au sens de lucratif et rentable. Dans la question "Quel impact l’introduction d’activités de production peut-elle avoir sur l’espace urbain ?", nous sommes tentés de nous demander de quelle production il est question ?

Paradoxe et blocage – La spécificité d’une zone commerciale, zone de friction, est d’être souvent un pôle économique : pourvoyeur d’emplois, de fait de présences, de nombreuses enseignes et dont la rentabilité bloque souvent l’évolution du foncier. Cette situation paradoxale, entre polarité et verrou, ralentit la transformation de la ville déjà en cours. Comment maintient-on un espace de production quand on ne peut plus, on ne veut plus les déplacer en périphérie ? Quelles sont les opportunités d’un domaine de bitume avec ses grandes nappes de parkings, des plages horaires alternativement saturées puis désertées, des grands hangars aux structures répétitives et convertibles ?
Micro actions et jeu de cartes – La voiture a donné une échelle au territoire de la ville suburbaine, qui laisse aujourd’hui un excès d’espaces sous-exploités, où les autres habitants, humains et non humains, n’ont pas vraiment leur place. Dans cette hypothèse, on peut intensifier les usages de la zone d’activités au quartier vivant. Il s’agit ici de négocier les rapports entre les différentes activités, c’est-à-dire les différents acteurs avec leurs différents buts.
Négociations - Multiplier les acteurs – C’est la méthode que nous avons choisi d’appliquer à Bondy : impliquer propriétaires fonciers et acteurs économiques. Ces derniers doivent trouver un intérêt à la mutation afin d’être pleinement moteurs de ce processus, pour les amener à jouer le jeu aux côtés de la ville et des habitants et de laisser une place aux nouveaux arrivants : initiatives locales, nouvelles activités, services… 
Négociations - Espace de friction entre les usages – Ceux qui font imaginer d’autres formes de la ville, d’aménagement ou de temps. La production commune de la ville. En fait, l’excès d’espace propre aux zones de production peut être vu comme une opportunité pour une économie collaborative qui se base en effet sur la valorisation de ce que l’on possède en excès (comme des places dans sa voiture ou un lit dans son appartement).

Paradoxes et blocages
Multiplication des acteurs
Négocier les rapports entre les activités
 

Ici, pour nous, la ville productrice reprend son sens vieilli de ‘producteur’ : créer un événement, provoquer quelque chose, produire un effet et donc, pas uniquement une cohabitation d’activités protégées, d’habitat d’où il ne faut surtout pas entendre le bruit des activités de production. Nous parlons de la possibilité d’une ville productive, de ses espaces communs, de la machine de production continue de situations, d’instants de friction, de frottement et pas seulement d’objets manufacturés. L’introduction d’activités de production dans l’espace urbain peut être un moyen de parler d’excès d’espaces, de ce qui dépasse sa simple organisation et qui se retrouverait dans la fabrication commune de la ville dans sa production même.

Découvrez ci-après les points de vue :

- de villes européennes
- d'acteurs Europan 14

Retour à la page d'introduction