Manual Towards a Clumsy City

Budapest (HU) – Mentionné

DONNÉES DE L'ÉQUIPE

Représentant d'équipe : Romain Granoux (FR) – architecte ; Associée : Margaux Minier (FR) – historienne de l’architecture
Collaborateur : François Justet (FR) – architecte

+33 6 87 51 08 27 – info@clumsycity.com – www.clumsycity.com

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M. Minier, F. Justet et R. Granoux

 

INTERVIEW

1. Comment s'est constituée votre équipe à l'occasion du concours?

Nous sommes deux architectes et une historienne-philosophe portés par une volonté commune de travailler ensemble à long terme. Nous souhaitions nous mettre au défi d’un concours d’urbanisme à l’échelle européenne et avions l’envie de rassembler nos idées en confrontant les disciplines pour ancrer le projet dans un dessein théorique et un fort parti pris de représentation urbaine. Et nous savions déjà que nous partagions une vision de l’architecture alternative, éco-responsable, ouverte sur les autres, assumant aussi ses influences artistiques et écrites.

 

2. Pouvez-vous définir la problématique principale de votre projet, en insistant sur votre manière de répondre à la question centrale de la session : lʼadaptabilité et les rythmes urbains ?

Une ville adaptable est une ville qui a su comprendre les mutations de ses usages par l’analyse des rythmes urbains, saisonniers, journaliers, générationnels, en rapport à des espaces déterminés. Pour faire l’économie d’un « bien non renouvelable » –le temps–, nous avons choisi de mettre en valeur le caractère de mutabilité de la ville qui pourrait ainsi se réinventer chaque fois que des besoins s’y expriment, par le détournement des fonctions et la multiplication des usages, en intégrant aussi les habitants dans la fabrique de la ville. L’éphémère et le vulnérable définissent le fondement de notre problématique et la durabilité même de l’aménagement. L’enjeu étant de faire face à l’imprévu, d’autonomiser à la fois les habitants et l’espace urbain. Or, pour assurer une production autonome de la ville, nous avons voulu fragmenter les éléments composant le projet et générer la vulnérabilité : fragmentation spatiale et fragmentation temporelle. La fragmentation constituant alors le prémisse d’un projet d’acupuncture urbaine qui accepte aussi la maladresse de sa proposition.

 

3. Comment cette problématique et les questions posées par la mutation du site se sont-elles croisées ?

Saisissant le contexte économique relativement difficile de la ville, de son ambition à voir le site du Rakos se revitaliser rapidement par la création d’une coulée verte, la revalorisation de l’axe commercial, l’organisation du réseau des transports, et constatant par là même la complexité des typologies d’habitats du quartier, nous avons voulu proposer des solutions à court et à long terme permettant de s’adapter aux mutations intrinsèques et extrinsèques de la ville en les orientant et, par extension, en augurant les changements. Car un aménagement spontané et, en même temps, rationalisé sur différentes temporalités, représente le déclenchement d’un changement futur et un aménagement évolutif à long terme. La définition de l’adaptabilité comme « futur dans l’immédiat » nous a donc inspiré la création d’un manuel pour un urbanisme du mimétisme. Autrement dit, un urbanisme pouvant d’une part, se régénérer en fonction de l’évolution des besoins, et d’autre part, se reproduire. Différents niveaux d’analyse, de typologies et de temporalités se mêlent et se superposent pour créer un urbanisme à la carte, totalement malléable et réversible. Diverses solutions sont proposées, les équations sont multiples, selon que l’on veuille privilégier l’aspect culturel, paysager, immobilier ; le temps de la réflexion étant déterminé par les besoins des habitants eux-mêmes. On crée du rythme, on dynamise les lieux. On échange et on cohabite.

Social housing without a social life
Rákospatak creek, monotonous & underused
Zuglo, a residential area
 

4- Avez-vous déjà traité cette problématique précédemment et pourriez-vous présenter quelques projets références pour le vôtre ?

Compte tenu du caractère inédit de notre association, nous n’avons jamais traité cette problématique si ce n’est au cours de nos études respectives. Quelques références pour le projet :

  • La High Line newyorkaise, pour la notion de paysage urbain ;
  • Manuel de décolonisation de Salotto Buono, pour l’idée de mettre en place des outils ;
  • Collectif Coloco, pour l’intervention citoyenne ;
  • Michel Lussault, « L’avènement du monde », pour le traitement des problématiques actuelles ;
  • Thierry Paquot, pour la théorisation de l’urbanisme chronotopique ;
  • Henri Lefebvre, « Le droit à la ville », pour le processus participatif ;
  • Andrea Branzi, « Nouvelles de la métropole froide » ;
  • Paul Ricoeur, « Autonomie et vulnérabilité » ;
  • Marco Casagrande, pour l’acupuncture urbaine.

 

5- Aujourd'hui, à l'ère de la crise économique et du développement durable, le projet urbano-architectural doit repenser son mode de fabrication dans le temps ; de quelle manière avez-vous intégré la question du projet processus?

Par l’élaboration d’un système complexe et fragmenté de la ville durable, par la promotion d’un processus évolutif et participatif, nous avons voulu ménager les esprits avant d’aménager les espaces. Toujours dans le souci de rendre les choses vulnérables, la conception s’appuie sur le refus d’un dessin d’ensemble. Le but n’est pas esthétique, il est avant tout pragmatique et politique. La priorité est de tester le fonctionnement du manuel avant celle d’une harmonie des formes et des couleurs. La fabrique urbaine mise en place progressivement se fonde sur un pragmatisme éclairé et non sur une image esthétisante et figée de la ville. Car si Budapest prend son temps pour construire son futur, elle veut aussi voir les effets immédiats d’une conception participative et ouverte. Ce qui caractérise le manuel est qu’il multiplie les possibles tout en refusant les utopies. C’est la création d’un urbanisme à la carte, réaliste et tolérant. Cette approche empirique inscrite au plus profond des réalités quotidiennes révèle les prémisses d’une architecture humble et manifeste. Nous défendons l’idée d’une ville en puissance, maladroite. En refusant les politiques outrancières, nous voulons fabriquer sans imposer des schémas uniques, laisser les choses entrer en relation les unes avec les autres, laisser être, être « bienveillant ». Rendre fragile les éléments d’un tout, c’est rendre le tout plus fort. C’est rendre possible les mutations, c’est prévoir une certaine obsolescence, c’est fabriquer de l’adaptabilité. Au contraire de René Char qui définit la poésie par son invulnérabilité, nous faisons de la vulnérabilité la genèse d’une ville poétique.

 

6- Est-ce la première fois que vous êtes primé à Europan? De quelle manière cela peut-il vous aider dans votre parcours professionnel ?

C’est la première fois. Et nous comptons profiter de cette opportunité pour nous impliquer d’abord dans la réalisation du projet en collaboration avec la ville, l’équipe partenaire et les habitants, pour développer ensuite le manifeste d’une ville maladroite dont nous mettons en place ici les prémisses par le biais d’une communication avancée, pour envisager peut-être aussi l’association de nos idées dans le cadre d’autres concours et appels à projet. Ce n’est que le début…